dimanche 27 novembre 2011

Article: Alain Juppé a …

Alain Juppé a …
http://www.les-crises.fr/alain-juppe-a/


Comme indiqué, je vous ai présenté dans ce billet une vision de la théorie chomskyenne sur la fabrication de l'opinion publique.

Vous en trouverez ici une illustration.

N'avez-vous pas été frappé par le traitement réservé au sujet de l'idée (suicidaire à mon sens) de la monétisation de la dette par la BCE – sujet dont j'ai traité au fond dans ce billet ?

On peut voir 5 caractéristiques principales à ce sujet :

  1. Un déferlement médiatique : on se met à parler à longueur de pages de ce sujet, complètement absent il y a 1 mois ;
  2. Quasiment toutes les visions vont dans le même sens : "il faut monétiser".
  3. On en minimise les conséquences – et encore, quand on en parle…
  4. La position est présentée comme une évidence, avec des affirmations martelées sans justification : "cela va calmer les marché dans l'instant"
  5. Très peu de place est laissée aux visions dissidentes. Il serait intéressant de mesurer "à la Chomsky" en cm la longueur d'articles "Pour" et "Contre" dans les journaux ces derniers temps. [Si quelqu'un a envie de s'y coller…]

Ce qui est fascinant, c'est que la place laissée dans les médias à la vision "ne monétisons pas" doit être de 10 à 20 %, alors que, si on prenait par exemple les prix Nobel d'économie, on aurait bien 80 % qui refuseraient cette monétisation…

Les Grands économistes sont contre ? Pas de souci, on va trouver de nouveaux grands "experts" : les Politiques !

D'où cet éditorial de Laurent Joffrin, publié dans le Nouvel Obs, dont il dirige la rédaction, ce jeudi 24 novembre. À savourer :

BCE : pourquoi Alain Juppé a raison, par Laurent Joffrin, 24/11/2011

En demandant une action rapide de la Banque centrale européenne (BCE) pour juguler la crise financière, le ministre français des Affaires étrangères voit juste. Depuis le début de la crise des dettes souveraines, un petit nombre d'économistes de toutes obédiences, dont le nombre s'est ensuite élargi au fur et à mesure des difficultés, préconise une intervention importante de la BCE, destinée à dissiper la défiance qui incite les prêteurs à mesurer leurs concours aux Etats européens et déchaîne la spéculation sur les obligations d'Etat. Nous-mêmes, dès le mois d'août dernier, avons relayé à plusieurs reprises ces propositions, seules en mesure de rétablir un minimum de sérénité sur les marchés.

La proposition est raisonnable. Elle consiste à demander à la BCE d'annoncer qu'elle rachètera à un taux modéré les titres émis par les nations européennes, comme le font la plupart des banques centrales dans le monde, à commencer par la Banque d'Angleterre et la Réserve fédérale américaine. Rassurés sur leurs perspectives de remboursement, certains que le spectre d'un défaut majeur d'un Etat important (l'Italie, l'Espagne…) est écarté, les prêteurs continueraient dans ce cas à assurer le fonctionnement normal du marché obligataire. Parfaitement possible techniquement, logique sur le plan macro-économique, cette hypothèse a été repoussée avec hauteur par les orthodoxes de tous poils, décidés à faire payer d'abord aux peuples les erreurs de leurs dirigeants et les palinodies des marchés. Mais comme prévu, les autres solutions, bricolées sans principe et dans l'improvisation, s'avèrent insuffisantes. L'Allemagne elle-même éprouve maintenant des difficultés à emprunter sur les marchés. Les taux des obligations s'envolent, alourdissant la dette et accroissant chaque jour le risque d'un défaut, c'est-à-dire d'une banqueroute de l'un des grands pays européens, qui redoublerait la panique et porterait un coup fatal à la construction européenne.

Les dogmatiques de la droite européenne agitent l'épouvantail d'une hyperinflation qui viendrait tout à coup submerger le continent. Le gouvernement allemand et la majorité des technocrates de la finance, confits dans leurs certitudes, refusent une solution qui aurait à leurs yeux l'inconvénient décisif de conforter les cigales de l'Europe dans leur légèreté. Or ces deux risques – qui ne sont pas seulement théoriques – peuvent être conjurés. L'intervention de la BCE serait évidemment calibrée de manière raisonnable ; aussi bien, le risque d'inflation est limité quand une menace de récession pèse sur les économies concernées. La monétisation de la dette, l'autre nom de l'intervention de la BCE, a pour rôle d'éviter la spirale de l'austérité sans fin qui obère tout autant la confiance des marchés. Elle devrait être équilibrée par un mécanisme qui garantirait le retour progressif à l'équilibre des budgets en Europe, de manière à donner aux créanciers un calendrier de remboursement crédible. L'Allemagne demande sur ce point une révision des traités européens [ndlr : Paris, Rome et Berlin se sont dit prêts à réformer les traités européens]. C'est une discussion légitime qu'il faut ouvrir rapidement. En échange d'un retour à l'équilibre budgétaire, l'Allemagne accepterait que la gouvernance économique de l'Europe soit enfin dévolue, non seulement à la stabilité de la monnaie, mais aussi à la lutte pour la croissance et l'emploi, ainsi que le proposait dès l'origine Jacques Delors.

Plus lucide que d'autres, la France réclame depuis longtemps, par la voix de Nicolas Sarkozy, une réforme du gouvernement économique du continent qui irait dans ce sens. La gauche française défend sur ce point des mesures similaires. L'aggravation de la crise démontre chaque jour que cette position est la seule tenable à terme, à moins de renoncer à l'euro et de jeter bas une construction politique qui assure depuis soixante ans un cadre de paix et de coopération aux peuples européens.

Laurent Joffrin – Le Nouvel Observateur

Bien. Édifiant, non ? Donc pour l'avenir de la monnaie, on va écouter le ministre des affaires étrangères, normal, quoi…

Bon, j'exagère, Alain Juppé s'y connait bien en finances. enfin, en trous, plutôt, puisqu'il a été ministre du budget entre 1986 et 1988 (avec mon nouvel ami Daniel Bouton comme conseiller technique – le monde est petit, non ?). Bilan des 3 budgets:

  • 1986 : Croissance 2,3 % ; déficit 42 Md€ (valeur 2010) ;
  • 1987 : Croissance 2,4 % ; déficit 46 Md€ (valeur 2010) ;
  • 1988 : Croissance 4,7 % ; déficit 49 Md€ (valeur 2010) ;

Total : 137 Md€

Un tel talent devant être utilisé au maximum, tout le monde se souvient de son passage comme Premier Ministre entre 1995 et 1997 :

  • 1995 : Croissance 2,0 % ; déficit 67 Md€ (valeur 2010) ;
  • 1996 : Croissance 1,1 % ; déficit 55 Md€ (valeur 2010) ;
  • 1997 : Croissance 2,2 % ; déficit 49 Md€ (valeur 2010) ;

Total : 171 Md€

Donc Monsieur 300 Md€ de dette a de bonnes idées pour la suite – c'est rassurant… Il faudra penser à créer la Série "Les Experts – Paris"


© Afp

Je me suis donc permis de répondre sur le fond, et surtout la forme, sur le Plus de NouvelObs.com :

BCE : pourquoi Alain Juppé n'a pas raison, par Olivier Berruyer, 24/11/2011

En demandant une action rapide de la Banque centrale européenne (BCE) pour juguler la crise financière, le ministre français des Affaires étrangères ne voit pas juste.

Depuis le début de la crise des dettes souveraines, un petit nombre d'économistes de toutes obédiences, dont le nombre s'est ensuite élargi au fur et à mesure des difficultés, préconise une intervention importante de la BCE. Ces économistes – qui ont généralement tous brillé par leur incapacité à prédire, prévenir puis décrire la Crise actuelle – s'imaginent désormais que ceci dissiperait la défiance qui incite les prêteurs à mesurer leurs concours aux États européens et déchaîne la spéculation sur les obligations d'État. Ils pensent que ceci rétablirait un minimum de sérénité sur les marchés.

Folie.

La proposition est illusoire. Elle consiste à demander à la BCE d'annoncer qu'elle rachèterait à un taux modéré les titres émis par les nations européennes, comme le font seulement deux ou trois banques centrales dans le monde, à commencer par la Banque d'Angleterre et la Réserve fédérale américaine. Ces deux derniers pays sont la preuve que, évidemment, la monétisation ne marche pas. L'Angleterre a effrayé ses préteurs, et sa banque centrale est désormais obligée de financer continuellement l'État, alimentant une inflation « officielle » qui dépasse 5 %, qui diminue le pouvoir d'achat des anglais et plonge le pays dans une profonde récession. De même, la Fed est depuis 3 trimestres quasiment la seule acheteuse nette d'obligations américaines, et doit donc financer, en plus de l'État, les prêteurs effrayés qui se débarrassent de leurs obligations. Ce raisonnement est le même que celui utilisé en 2007 par ceux qui voulaient introduire les subprimes en France : « jusqu'ici tout va bien ».

Comment donc imaginer qu'on va « rassurer » des prêteurs obligataires en prenant des mesures qui finissent toujours par de l'inflation et l'affaiblissement de la monnaie, donc par la ruine des prêteurs ?

Ceci est une nouvelle illustration de l'absurdité multi-centennale consistant à croire qu'on peut créer de la richesse en imprimant du papier (absurdité démontrée des dizaines de fois dans l'Histoire), illogique sur le plan macro-économique, profondément injuste car revenant à faire payer par le peuple les mauvais investissements des plus riches rentiers. On accuse désormais les tenants de la stabilité monétaire d'être des orthodoxes de tous poils, alors que la plupart veulent seulement responsabiliser les riches prêteurs, afin qu'ils encaissent les pertes liées à leurs investissements malheureux, pertes correspondant d'ailleurs aux gras intérêts qu'ils ont généralement perçus. Désolé, aucun investissement n'est « sans risque ».

Ceux qui n'ont eu de cesse de défendre les déficits publics réalisés même quand tout allait bien s'imaginent désormais qu'ils pourront éviter d'en payer la facture. Mais ce n'est pour rien qu'on les surnomme « Douloureuses ». Reste simplement à répartir cette facture le plus justement possible, de façon à susciter le moins de dégâts sociaux, économiques et politiques.

Escroquerie suprême, on veut également nous faire croire qu'un défaut, c'est-à-dire d'une banqueroute de l'un des grands pays européens, porterait un coup fatal à l'euro et à la construction européenne. C'est faux, et bien au contraire, ce sont sans doute ces tensions irresponsables visant à affaiblir drastiquement notre monnaie qui risquent de porter ces coups. Même Robert Mundell, prix Nobel d'économie surnommé « le père de l'euro », affirme clairement que, bien évidemment, la banqueroute d'un État n'aurait pas d'impact sur l'existence de l'euro. Imagine-t-on que la banqueroute de la Californie détruirait le dollar ? Clairement, les conséquences d'un défaut sont douloureuses, mais c'est malheureusement la conséquence d'avoir dépensé hier l'argent de demain, alors que nous sommes désormais « demain ». Nos dirigeants échouent actuellement, pour la simple raison qu'ils essaient d'avoir raison contre la Comptabilité, et que la Comptabilité gagne toujours à la fin.

Les besoins de financement de notre État sont désormais gigantesques : il devra emprunter 400 Md€ sur les marchés en 2012, pour seulement 200 Md€ de recettes. Bien évidement, une fois que la BCE aura mis la main dans l'engrenage fatal, elle ne pourra plus s'arrêter, comme on le voit avec la Fed. Jamais elle ne pourra calibrer son engagement de manière raisonnable, car les marchés en voudront toujours plus, et que plus ils en auront, plus ils auront peur d'être remboursés en monnaie de singe. Et les singes, cela sera nous.

Si les investisseurs fuyaient, la BCE devrait monétiser toute les nouvelles émissions de dette, ce qui pourrait porter le niveau d'inflation à 20 %, 40 %, 60 % – tout cela est du domaine du possible. Veut-on « tenter le coup » ? Veut-on encore illustrer une des tares du financiarisme actuel : le PIG, ou Principe d'Imprudence Généralisé ? Pourquoi personne n'en parle-t-il ? Pourquoi ceux qui le font, et qui ne veulent que protéger les travailleurs, les forces vives et les petits épargnants (il n'y a plus rien à faire pour les gros dans tous les cas, malheureusement) sont-ils taxés de dogmatiques de droite ? Et si les élites de la Gauche se souciaient plutôt de défendre la vaste majorité de la population plutôt que l'épargne des plus riches rentiers ? Peut-être cela ramènerait-il vers elle les citoyens se perdant dans les extrêmes…

L'austérité n'est pas la solution – il est trop tard, la dette est trop grosse. C'est ce qu'on appelle le surendettement… Il est bien triste d'en arriver là, mais ceci est arrivé à 70 pays depuis 35 ans – et cela nous chatouillait moins quand il s'agissait de la Côte d'Ivoire ou du Pérou, qui ont fait défaut à des niveaux de dette bien inférieurs aux nôtres actuels. L'Occident semble incapable de sortir de son aveuglement, et son égo refuse de voir la triste vérité, conséquence de 30 ans de laxisme budgétaire : son insolvabilité. Aux niveaux actuels de dette, il est parfaitement impossible de revenir à un équilibre des budgets. Malgré tous les efforts de 2011, le budget de notre pays est encore en déficit de 93 Md€, à la veille d'une récession majeure. Le remboursement de la dette pas seulement impossible, il même est tout simplement inconcevable.

Ne rajoutons donc pas à la peine de restructuration de la dette des 10 % des ménages les plus riches (qui détiennent environ 70 % des dettes publiques) la douleur de l'inflation pour toute la population ou le traumatisme de la fuite de l'Allemagne vers un nouveau mark.

Moins lucide que d'autres, la France réclame une réforme du gouvernement économique du continent qui irait dans le sens d'une nouvelle perte de légitimité démocratique. Elle qui a seulement su faire 500 Md€ de dette supplémentaire en 5 ans voudrait montrer la voie. La voie vers le précipice, certainement.

Mais finalement, n'est-il pas logique que l'idéologique néo-conservatrice au pouvoir depuis 25 ans, gangrénant toute la société, et qui a réussi le coup double d'entrainer la faillite à la fois du système bancaire et des États occidentaux s'apprête désormais à mettre en faillite la Banque Centrale, nous renvoyant dans la Préhistoire économique ?

Ainsi, un seul mot d'ordre pour éloigner les apprentis sorciers, nouveaux faux-monnayeurs, afin de sauver une construction politique qui assure depuis soixante ans un cadre de paix et de coopération aux peuples européens : Sauvons la monnaie !

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