vendredi 11 novembre 2011

Article: Petite histoire de l’arbre à phallus

Petite histoire de l'arbre à phallus
http://sexes.blogs.liberation.fr/agnes_giard/2011/11/strange-fruits-larbre-a-phallus.html


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La planète sexe, vue et racontée par Agnès Giard.

Il existe à travers l'Europe des peintures représentant un arbre fruitier d'une espèce plutôt rare: ses branches sont chargées de lourds pénis en érection, remplis d'un nectar probablement divin, et pour cause. La vie, c'est le vit.

Phallus-tree

En 2000, dans la ville médiévale de Massa Marittima –province de Grosseto en Toscane (Italie)-, une exceptionnelle fresque est découverte derrière la couche de plâtre qui recouvre une fontaine ancienne, la "Fontaine de l'abondance", datant de 1265. Les peintres chargés de la restauration ont de quoi se régaler: l'image principale de la fresque montre un arbre immense, de presque quatre mètres de haut, aux branches alourdies par des phallus. Il y en a 25 en tout, clairement turgescents. Sous le dais protecteur de l'arbre, dont la frondaison forme comme un ciel prolifique, cinq femmes lèvent la tête, alléchées par ces glands savoureux qu'elles semblent vouloir cueillir… L'une d'entre elles, armée d'un bâton, essaye de gauler l'arbre et s'apprête à taper sur un des "fruits" pour le faire tomber. Pour Johan Mattelaer, urologue, spécialiste des représentations phalliques, cette découverte marque le début d'une recherche passionnée: existe-t-il d'autres images d'arbre à phallus? Il entreprend de les répertorier.

Un des manuscrits du Roman de la rose, écrit par Guillaume de Lorris et Jean de Meung, archivé à la Bibliothèque Nationale de Paris, attire son attention: «Ce manuscrit datant du 14e siècle, illustré par Jeanne de Montbaston, montre en bas de page deux arbres à phallus», accompagnés de commentaires qui l'enthousiasment. «Le premier bas de page représente une jeune nonne faisant la cueillette des phallus à côté de la phrase: "Inutile de résister au désir de nature! Même l'habit monastique ne vous sera d'aucun secours! Cueillez donc les plaisirs de la vie!". Sur la seconde image, deux autres nonnes entassent dans les plis de leur robe grise les phallus qu'elles détachent des branches… Curieusement, les glands rouges et gonflés des pénis émergent de leur vêtement comme si les femmes étaient elles-mêmes dotées d'énormes pénis. Il ne semblerait pas à l'époque que de telles images relèvent du sacrilège. «Vers le milieu du Moyen-Age, les pèlerins avaient coutume de se signaler en portant agrafés sur leurs vêtements des badges de pèlerins. Or ces badges n'étaient pas toujours simplement des symboles religieux, souligne Johan Mattelaer. Certains avaient la forme de vulves ailées, d'autres celles d'arbres à phallus. On en trouve une grande quantité dans les collections d'Hendrik Jan E. van Beuningen à Cothen (Pays Bas). On trouve aussi des badges représentant des couples en train de faire l'amour sous un arbre à phallus

«A Ieper (Belgique), l'un de ces badges d'arbre à phallus montre un pénis pénétrant une vulve avec le mot "Amour" marqué par-dessus. Au Musée franciscain de Villingen-Schwenningen (Allemagne), il y a aussi un coffre sculpté du 15e siècle montrant une très belle dame qui fait sa récolte sous un arbre à phallus. Elle les met dans un panier, qu'elle remplit à la mesure de son désir… énorme.»Curieusement, la scène sculptée de l'autre côté du coffre représente un jeune homme, probablement l'amant de la dame, qui cueille des vulves dont il remplit son cabas… Il en a déjà récolté vingt! Chacun, de son côté, fait donc provision de bouche, avec un appétit contagieux. Au Landesmuseum tiroler d'Innsbruck (Autriche), au château Moos-Schluthaus d'Appiano (Italie) et à la villa Farnese de Rome (Italie), on trouve aussi des fruits étranges cachés parmi les branches d'arbres chargés de trésors juteux, aux formes ambigues. «En 1510, les arbres à phallus faisaient partie des processions carnavalesques de Nordlingen (Allemagne)», rapporte également Johan Mattelaer, qui s'interroge sur les origines de ces étranges espèces végétales.

«Il  semblerait qu'entre la fin du XIIIe et le début du XVIe siècle, ces arbres étaient des symboles populaires. Leur disparition date de la Réforme, lorsque le sexe est devenu tabou et que le clergé s'est mis à poursuivre toutes les idoles.» Les cultes à Priape qui avaient jusqu'ici survécu sous des formes plus ou moins déguisées ont définitivement été éliminés d'un monde désormais voué aux aspirations plus nobles, celles de l'esprit détaché de la chair. A la connaissance de Johan Mattelaer, il n'existe aucune représentation d'arbre à phallus avant le Moyen-Age. Mais l'arbre en lui-même n'est-il pas, dans d'innombrables civilisations, un phallus à part entière? Il est vertical, il relie la terre au ciel, il est chargé de sève et il porte des fruits (ou des baies) qui peuvent parfois vous rendre ivre… comme après un orgasme. C'est l'arbre de vie primordial.

Lorsque les premières religions apparaissent sur terre, elles reposent sur des symboles forts: la pluie, qui fait pousser les plantes, y est assimilée aux fluides sexuels et les choses qui se dressent, en canalisant des énergies humides, sont associées au pénis, instrument sacré de la fécondation…
«Puisque toute vie vient de la semence divine, explique John Allegro, spécialiste des langues anciennes, il s'ensuit que le médicament le plus efficace serait le sperme pur de dieu. On croyait que certains arbres avaient une sève ou une résine voisines de sa pureté; celle-ci ou sa sainteté, étant évaluée par son aptitude, en tant que drogue, à tuer, guérir ou enivrer. En sumérien, les mots qui désignent "vivre" et "enivrer" sont les mêmes, "Tin". L'arbre de vie, Geshtin, est le "vin". D'une manière analogue, dans le grec oinos et l'hébreux yayin, "vin", il existe probablement une racine sumérienne commune, Ia-U-nu, "sperme-semence" (Source : Le champignon sacré et la croix).

Au commencement, il y a donc des cultes qui consistent à célébrer le désir et à en perpétuer la puissance, parce que sans désir, semble-t-il, rien ne peut germer sur terre ni dans le ventre des femelles… Au commencement, par des chants et des danses mêlées de libations, des fêtes s'élaborent en hommage aux organes de la reproduction, symbolisés par des branches d'arbres verts, par des grappes de raisin (1), par des sarments sauvages, par des vignes et des lierres, par tout ce qui dans la nature évoque l'idée de la réjouissance, de l'enlacement, des étreintes frénétiques et des états seconds… L'arbre à phallus qui apparaît dans l'iconographie chrétienne à la fin du 13e siècle n'est peut-être qu'une réminiscence de ces célébrations anciennes.

Johan Mattelaer est l'auteur d'un article «The phallus tree: a medieval and renaissance phenomenon», en vente ici. Par ailleurs, il a publié un livre magistral sur les représentations phalliques à travers le monde : The phallus in art and culture, Pana editions.

Note 1 : "Le grec botrus et l'hébreu eskhôl dérivent tous deux, nous le savons maintenant, de phrases sumériennes qui signifient "sommet du pénis en état d'érection" (Source : John M. Allegro, Le champignon sacré et la croix, Albin Michel, 1971, page 196).

Photo sur Liberation.fr cc BY JorgeBRAZIL sur flickr

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