mardi 8 novembre 2011

Le Fonds de stabilité européen est-il déjà mort ?

Lundi soir, les ministres des Finances de l'eurozone étaient réunis à Bruxelles pour avancer sur la réforme du Fonds Européen de Stabilité financière. L'accord européen du 27 octobre[1] a accordé de nouveaux moyens à celui-ci, laissant aux gouvernements le soin d'en discuter la mise en place. Or, non seulement ceux-ci peinent à avancer, mais de plus en plus d'analystes redoutent que l'outil ne soit de toute façon pas à la hauteur de la situation.

Un poids plume face à la montagne de dettes

Le FESF a été fondé en juin 2010 pour venir en aide aux États européens en difficulté. L'accord du 21 juillet 2011 avait porté sa capacité d'intervention à 450 milliards d'euros. Assez pour faire face à la seule dette grecque, mais très insuffisant en cas de contagion à des économies de la taille de l'Italie ou de l'Espagne. C'est pourquoi un nouveau sommet européen, le 27 octobre, a porté cette capacité à 1000 milliard d'euros. Or, l'Italie, dont la situation ne cesse de se dégrader[2], représente à elle seule 1,9 milliard de dette. Il est donc à craindre que la réponse européenne aux spéculateurs ne soit toujours pas au niveau.

Le doute commence même à gagner les responsables politiques, qui s'efforçaient jusqu'à présent de faire passer l'accord du 27 octobre pour complet et crédible. "Quand ils voient les taux d'intérêts italiens s'envoler comme ils le font, ils commencent à penser à un levier à 2 ou 3000 milliards d'euros", déclare une source européenne au quotidien britannique The Telegraph[3].

"C'est très bien de dire que nous avons un pare-feu, mais nous devons montrer au monde de manière convaincante qu'il existe, et qu'il a des ressources suffisantes", s'inquiète le Premier ministre britannique David Cameron. La ministre des Finances autrichienne Maria Fekter est plus réaliste: "L'Italie sait que vu la taille du pays elle ne peut pas espérer une aide extérieure, c'est la raison pour laquelle des efforts énormes sont faits en Italie en ce moment".

Un mécanisme pas au niveau

Le niveau des fonds mobilisables par le FESF n'est pas le seul problème. On ne sait pas encore précisément comment il fonctionnera. Deux options sont sur la table. D'une part, un mécanisme qui permettrait au FESF de garantir, à hauteur de 20 ou 25%, les titres de dettes émis par les États à risques, dans l'espoir d'en faire baisser les taux d'intérêt. Mais la perspective de récupérer seulement un quart de la mise en cas de faillite de l'un d'entre eux suffira-t-il à les rassurer les investisseurs? Sans compter qu'un tel mécanisme revient finalement à crédibiliser la possibilité d'un défaut de paiement.

Seconde possibilité, d'ailleurs pas exclusive de la première: créer un fonds d'investissement spécial, abondé notamment par le FMI et les pays émergents, qui rachèterait sur les marchés la dette des États en difficulté. Problème: au G20 de Cannes, les émergents en question se sont une nouvelle fois montrés réticents à investir leurs fonds publics[4] dans la machine européenne. Ils considèrent que le Vieux Continent a les moyens de subvenir à ses propres besoins. Et, comme tout le monde, ils attendent de l'Europe des mesures bien plus ambitieuses.

A tous ces problèmes, il faut encore ajouter un facteur décisif: le temps. Le patron de la zone euro, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, a annoncé hier soir que le FESF renforcé serait en place à partir de décembre, mais parfaitement au point en février seulement, soit dans plus de trois mois. L'Europe peut-elle se permettre un tel délai de réaction? Non, semble penser la Commission européenne, qui a exhorté la zone euro a accélérer ce calendrier, suivie en cela par le ministre Français des finances François Baroin.

La BCE en dernier recours

Même ainsi, toutefois, il est de moins en moins certain que l'Italie pourra échapper à la restructuration d'une partie de sa dette. Or, le pays garantit les emprunts du FESF à hauteur de 19%. C'est la troisième plus grosse contribution au Fonds, devant l'Espagne avec 12,75%. Toute détérioration de la situation de ces pays influe donc sur la crédibilité du FESF.

Pire encore, «s'ils devaient s'en retirer comme l'ont fait la Grèce, l'Irlande et le Portugal, cela augmenterait la quote-part de la France, qui risquerait alors de perdre son triple A», estime l'économiste Shahin Vallée, chercheur associé pour le centre d'études Bruegel, à Bruxelles et économiste à BNP Paribas. Dégradation qui entraînerait sans doute celle du FESF lui-même, qui conserve pour l'instant son triple A.

La dernière levée de fonds du FESF, d'une valeur de trois milliards d'euros, n'a pas dissipé les doutes, au contraire. La demande pour les titres du Fonds a été moins enthousiaste qu'attendue, et les taux beaucoup plus élevés. Signe que les investisseurs ne sont pas rassurés par les demi-mesures européennes. "Aujourd'hui, il faudrait dépenser moins d'énergie intellectuelle et de capital politique dans le FESF, et plus dans le nécessaire bond en avant fédéraliste, poursuit Shahin Vallée. Celui-ci peut tout à fait se faire dans le cadre d'un noyau restreint de pays, en donnant le signe que ceux-ci sont prêts à avancer sur le chemin de l'union fiscale".

En l'absence de "saut fédéral", reste une autre solution: demander à la banque centrale de s'impliquer plus fortement[5] dans le soutien au pays en difficulté. Soit en augmentant ses opération de rachats de dette; soit, au prix d'une révision des traités, en se posant en "prêteur en dernier recours" - c'est-à-dire en faisant tourner la planche à billet pour financer directement les Etats, à l'image des banques centrales américaine, britannique ou encore japonaise. La seule annonce d'une telle mesure suffirait sans doute à calmer les marchés. Mais elle a encore été écartée aujourd'hui par Jürgen Stark, le chef économiste allemand de la BCE: "Les lignes rouges ne doivent pas être franchies".

 


Source:http://www.liberation.fr/economie/01012370343-le-fonds-de-stabilite-europeen-est-il-deja-mort
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