La question semble facile formuler[1] : "Combien coterait la France une sortie du nuclaire ?" Mais y rpondre[2] prcisment et avec certitude relve d'une mission impossible. Aujourd'hui, l'atome fournit l'Hexagone 74 % de son lectricit. Si ce credo dans le tout-nuclaire a bnfici pendant plus de trente ans d'un large consensus, la catastrophe de Fukushima a rveill les calculettes. Mais elles ont de quoi s'affoler[3].
Il ne suffit pas de proclamer[4] la " sortie du nuclaire ", encore faut-il, comme on le rappelle au ministre franais de l'nergie, dire[5] par quoi on le remplace ; prciser[6] le futur prix de l'lectricit ; expliquer[7] comment la scurit d'approvisionnement du pays sera assure ; indiquer[8] quelles nergies (fossiles ou renouvelables) seront privilgies pour remplacer[9] l'atome ; et dfinir[10] l'impact de ces choix sur la politique de lutte contre le rchauffement climatique
Bref, l'quation est multiples paramtres. Sans prjuger[11] de la qualit des exercices de prvisions vingt ou trente ans, la tche pourrait ne pas tre[12] insurmontable si une condition majeure tait remplie : l'accs et la transparence des donnes. Un pralable qui fait beaucoup sourire[13] Marie-Hlne Labb[14], matre de confrences l'Institut d'tudes politiques de Paris, qui a publi Le Nuclaire la drive (Editions Frison-Roche, 2011).
"Je ne suis pas hostile la filire nuclaire franaise, je suis hostile son opacit. Regardez les projections qui circulent aujourd'hui sur la sortie de l'atome. Les pro-nuclaires prsentent des chiffres rdhibitoires qui incitent refermer[15] tout de suite le dossier, tandis que les 'anti' avancent des rsultats plutt avantageux pour notre conomie[16]. Quant aux personnes indpendantes, elles se heurtent la loi du silence "
Qui peut ainsi oublier[17] que le rapport sur "l'volution du nuclaire civil l'horizon 2030", command en octobre 2009 par Nicolas Sarkozy Franois Roussely, ex-PDG d'EDF, avait t estampill secret dfense ? Les conomistes qui travaillent sur la question de la sortie du nuclaire rflchissent en termes de cots et bnfices : quels seront les prix venir[18] des autres nergies (ptrole, gaz, renouvelables) ? Quelles subventions seront ncessaires pour donner[19] un coup de pouce au solaire ou l'olien ? Etc.
L'exercice est prilleux car il demande d'anticiper[20] vingt ou trente ans les tendances du march mondial de l'nergie, o la concurrence est rude. Tout cela au regard videmment du cot du nuclaire en France. Or sur ce point, au-del des simples prvisions, il semble trs difficile de disposer[21] de donnes fiables.
Aprs Fukushima, seules l'Italie, la Suisse et l'Allemagne ont renonc l'nergie nuclaire.AFP/RADEK MICA[22]
Mi-septembre, le ministre de l'industrie a pourtant lanc le chiffre de 750 milliards d'euros pour valuer[23] le cot de la sortie du nuclaire en France. D'o vient-il ? D'une simple rgle de trois, rendue possible en s'inspirant du cas de l'Allemagne. Aprs Fukushima, Berlin a en effet dcid d'abandonner[24] le nuclaire d'ici 2022, nergie l'origine, aujourd'hui, de 22 % de la production d'lectricit du pays.
"L'quivalent allemand de notre Caisse des dpts, la KfW, estime la facture de ce dsengagement 250 milliards d'euros. Ce chiffre inclut les investissements ncessaires la cration de nouvelles capacits de production (centrales charbon, nergies renouvelables, etc.), la hausse des importations d'lectricit ou encore le dmantlement des installations existantes", argumente-t-on au ministre.
La suite est une opration mathmatique des plus faciles : l'Allemagne arrte ses dix-sept racteurs pour 250 milliards d'euros. Pour la France, qui en compte cinquante-huit, c'est au minimum trois fois plus, soit 750 milliards d'euros. Un rsultat que Bernard Bigot[25], haut-commissaire l'nergie atomique et aux nergies alternatives (CEA), estime tre[26] un minimum, dans un entretien au Figaro (22 septembre). Le scientifique explique par consquent que "sans le nuclaire, la facture nergtique de la France exploserait".
PRENDRE EN COMPTE LES RAJUSTEMENTS
Cette rgle de trois a pourtant du mal convaincre[27] les spcialistes, qui soulignent la fragilit des chiffres de la filire industrielle. Celle-ci a dcid d'ailleurs de faire[28] entendre[29] sa voix en direct. Le 7 novembre, l'Union franaise de l'lectricit, laquelle appartiennent EDF et GDF Suez, a indiqu que ramener[30] 50 % la part du nuclaire en France d'ici 2030 proposition dfendue par Franois Hollande[31], le candidat du parti socialiste la prsidentielle, mais l'chance de 2025 ncessiterait des investissements supplmentaires de 60 milliards d'euros. En consquence, insiste l'UFE, la facture des particuliers augmenterait de 50% en vingt ans.
Henri Proglio, PDG d'EDF, estime qu'une sortie du nuclaire "mettrait un million d'emplois en pril".AFP/PIERRE VERDY[32]
Inquiet que cet "avertissement" du syndicat patronal ne suffise pas, Henri Proglio, PDG d'EDF, a dclar, mercredi 9 novembre, dans un entretien au Parisien-Aujourd'hui en France[33], que sortir[34] du nuclaire signifierait "mettre un million d'emplois en pril et ncessiterait d'investir[35] 400 milliards d'euros pour remplacer[36] les centrales". Impossible pour autant de vrifier[37] tous ces chiffres qui diffrent d'une source l'autre
L'inventaire des " rajustements " du cot rel de l'atome franais donne en effet le vertige. Dans un sens (cot de son prolongement) comme dans l'autre (cot de son arrt).
Les cinquante-huit racteurs franais devront tre[38] rviss dans les dix annes venir[39]. EDF, leur exploitant, a d'abord voqu, rappelle Jacques Percebois, conomiste spcialiste de l'nergie, un prix de 400 millions d'euros par racteur (soit 23,2 milliards). Fin 2010, ce montant a t rvalu 600 millions (donc 34,8 milliards). Mais il faudra compter[40] dsormais sur les demandes de l'Autorit de sret nuclaire (ASN) destines renforcer[41] la scurit des centrales aprs Fukushima, o l'improbable s'est pourtant produit. Cette dmarche engendrera ncessairement un surcot.
Comment ne pas prendre[42] aussi en compte, si l'on continue rflchir[43] en termes de prolongement du parc franais, le drapage d'ores et dj constat des racteurs de troisime gnration, l'instar de l'EPR de Flamanville dans le dpartement de la Manche ? Son dmarrage prvu en 2012 aura finalement quatre ans de retard et son cot a t rvalu de 4 6 milliards d'euros.
Il faut aussi penser[44] au stockage des dchets radioactifs lis la marche ancienne et venir[45] des centrales. En janvier 2006, le rapport de la Commission nationale d'valuation relative aux recherches sur la gestion des dchets radioactifs (CNE) chiffrait 15 milliards d'euros les frais pour l'enfouissement souterrain des dchets les plus dangereux. Un montant aujourd'hui rvis la hausse : 35 milliards d'euros. O se situe la vrit ? Entre les deux, rpondent certains experts, qui du coup s'inquitent de cette drive pour les dchets du futur.
Autre pomme de discorde, qui touche cette fois-ci la question de l'arrt de la filire : le dmantlement des centrales. Quel sera le poids financier rel de la dconstruction ? En 2005, un rapport de la Cour des comptes avait estim ce cot 23,5 milliards d'euros. Comment tre[46] sr que ce montant reflte la ralit d'aujourd'hui ? Et ce, mme si les experts de la Cour avaient dj largement rajust les donnes dont ils disposaient. Ils avaient, par exemple, indiqu que le dmantlement de la centrale bretonne de Brennilis, l'arrt depuis 1985, allait se chiffrer[47] 482 millions d'euros contre le faible montant prvu en 1979, quivalant environ 20 millions d'euros, selon Marie-Hlne Labb.
Le candidat socialiste, Franois Hollande, s'est engag ramener la part du nuclaire dans la production d'lectricit franaise de 74 % 50 % en 2025.AP/Jacques Brinon[48]
Ces chiffres restent in fine invrifiables. Et pas uniquement en France, en croire[49] le cabinet international spcialis en nergie SIA Conseil. Aux Etats-Unis, l'autorit de sret nuclaire amricaine estime 210 millions d'euros la dconstruction d'un racteur, les Britanniques tablent sur un cot dix fois suprieur. Tout dpend, rpondent en chur les spcialistes, du type de racteur. Retour alors la case technique, difficilement accessible aux non-spcialistes.
UN AUDIT ATTENDU DE LA FILIRE
Les entreprises mettent aussi en avant, en cas d'arrt du nuclaire, la menace qui pserait sur les emplois. Areva a ainsi demand au cabinet Pricewaterhouse Coopers[50] d'valuer[51] "le poids socio-conomique de l'lectronuclaire en France". Le diagnostic, "tabli en toute indpendance", comme l'affirme l'un des consultants du cabinet, est loin d'tre[52] anodin : la filire reprsenterait au total 410 000 emplois (directs et indirects), 450 entreprises spcialises et la cration de valeur de plus de 12 milliards d'euros en 2009, soit 0,7 % du produit intrieur brut (PIB) franais.
L encore des chiffres qu'il faudrait vrifier[53], mais aussi mettre[54] en balance avec la cration future de 600 000 emplois que le gouvernement espre de la croissance verte et du dveloppement des nergies renouvelables.
Une lueur pointe nanmoins dans ce brouillard gnralis : la parution dbut 2012 d'un nouveau rapport de la Cour des comptes qui sera un audit de la filire lectronuclaire et de ses cots rels. Une concession que Nicolas Sarkozy[55] a d faire[56] aux ONG lorsqu'il les a reues, dbut mai l'Elyse, pour voquer[57] les consquences de la catastrophe de Fukushima. Celles-ci avaient port le message que les chiffres taient trop opaques et certainement sous-estims.
Marie-Batrice BaudetReferences
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Source:http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/11/09/l-impossible-chiffrage-du-cout-de-l-apres-nucleaire_1601376_3244.html#ens_id=1504462&xtor=RSS-3208
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