mardi 27 décembre 2011

Article: Après le capitalisme (2)

Après le capitalisme (2)
http://lalettredulundi.fr/2011/12/24/apres-le-capitalisme-2/


Après le capitalisme (2)



Dans les deux précédents billets (voir De la nature intime du capitalisme et Après le capitalisme - 1), nous nous sommes efforcés de répondre aux questions suivantes :

● un « capitalisme à visage humain » est-il possible ? Réponse : probablement pas, compte tenu des exigences quasi-insurmontables que supposerait une telle évolution ;

● dans ce cas, quelles options pour « l'après-capitalisme » ? Sur quoi cette évolution peut-elle déboucher ? Parmi les scénarios possibles, nous avons analysé celui de la « primauté de la force », laquelle se substituerait à la « primauté de l'argent ».

Pour une remise en perspective des développements qui vont suivre, nous vous proposons de relire ces deux billets ainsi que leurs commentaires avant de démarrer la lecture de celui-ci. Un autre point mérite une précision : plusieurs lecteurs nous ont fait part de leur déception à la lecture de ces billets, sur le thème « N'avez-vous rien de mieux à nous proposer comme alternative au capitalisme ? ».
  
Soulignons donc que l'objectif de cette série de billets (les deux précédents, celui-ci et le suivant) n'est ni de proposer une recette-miracle, ni d'exposer un point de vue personnel, mais d'anticiper raisonnablement, à partir d'éléments existants, le chemin qui se dessine.
  
Cette démarche suppose :

● de faire abstraction, autant que faire se peut, de ses préférences personnelles pour privilégier une analyse aussi « froide » et « distanciée » que possible des événements. Dans le cas contraire, on prend ses désirs pour des réalités ;

● de ne pas tomber dans le piège du « si on veut, on peut ». Il mène à surestimer ses capacités - ou celles que l'on prête à ses contemporains - au détriment de l'analyse. On risque alors fort de tomber dans le wishful thinking, « ça va arriver parce que j'ai envie que ça arrive » ou dans le plaidoyer militant ;

● d'éviter que l'arbre ne cache la forêt. C'est le plus délicat car, comment savoir si un événement n'est qu'un épiphénomène ou l'élément précurseur d'une tendance de fond ? La réponse pourrait être : « si d'autres éléments du même type se multiplient, c'est probablement une tendance de fond. » Attention cependant d'une part à ne pas confondre les derniers soubresauts d'un système qui s'effondre avec les premiers signes de vie d'un système qui naît, d'autre part à ne pas attendre que l'évidence saute aux yeux pour crier « Euréka ». Dans ce cas, le journal télévisé de TF1 est amplement suffisant !

Nous nous efforçons donc de suivre ces règles lors de la rédaction des articles d'analyse, que nous essayons de différencier nettement des billets où nous avançons des idées ou propositions, par exemple dans les séries De la réforme constitutionnelle (avril 2010) ou Quatre priorités pour 2012 (juin-juillet 2011).
  
Ces précisions de méthode apportées, reprenons le cours de notre sujet.
  
  
Scénario n° 2 : primauté de la religion
  
Plus qu'aucun autre homo, homo economicus a été - et est encore - un individu a-religieux. Le « tout-économique » a « aspiré » la majorité des autres valeurs sociétales, que l'on aborde la question sous l'angle « libéralo-capitaliste » ou marxiste.
  
On pourrait objecter qu'il n'en est rien, que le retour du religieux s'affirme un peu plus chaque jour, etc. Nous y reviendrons un peu plus loin. Il n'en reste pas moins qu'au fur et à mesure de l'évolution de la civilisation dite occidentale, la place centrale qu'occupait le religieux (par exemple sous l'Ancien Régime) - la primauté du religieux - a totalement cédé le pas à l'économique - la primauté de l'argent.
  
Il y a quatre ou cinq siècles, l'athéisme était totalement inimaginable, au sens étymologique du terme, et regardé comme une abomination qui menait droit au bûcher ; la société occidentale était alors fracturée très nettement entre catholiques et protestants.
  
Il y a deux siècles, en France, la consécration du pouvoir politique par l'Église, sous la forme du sacre, était encore considérée comme indispensable aux yeux de la quasi-totalité des Français.
  
Plus près de nous, il y a un siècle, le débat plus que vif et passionné qui eut lieu lors de la séparation de l'Église et de l'État montre bien qu'un clivage de nature religieuse structurait encore nettement la société française.
  
Ce clivage est aujourd'hui résiduel. Depuis la « mort » du marxisme liée à la disparition de l'URSS et l'avènement concomitant d'homo economicus, gavé de crédits à la consommation et grand amateur de « technologies jetables » (la durée de vie moyenne d'un micro-ordinateur ou d'un téléphone portable est inférieure à 18 mois), la donne a complètement changé.

Pour caricaturer et forcer le trait, la religion d'homo economicus, c'est l'Apple believing où, lorsqu'il était encore de ce monde, Steve Jobs – le Christ de la Silicon Valley – multipliait les « miracles » technologiques (iPod, iPad, iChose…) comme Jésus les pains et les poissons au bord du lac de Tibériade. Ses believers passent la nuit en semi-transe devant l'église (pardon, l'Apple store) pour pouvoir acheter, dès potron minet, le dernier iTruc, et démontrer ainsi la constance de leur foi…
  
Quand cet excès de marchandisation, notamment virtuelle, va entraîner l'explosion du système socio-économique existant, s'accompagnant d'un chaos engendré par la primauté de la force, les individus « atomisés » et « liquéfiés » lors de la phase ultime du capitalisme (voir Rêve de HAL) vont chercher, dans l'urgence, à se regrouper, à se fédérer autour de valeurs communes. La religion - les religionsvont alors constituer un réceptacle idéal pour répondre à ce besoin.
  
Pourquoi ? Parce qu'elles proposent (grosso modo, notre objectif n'est pas de caricaturer mais de souligner de grandes tendances) une solution « clés en mains », à la fois spirituelle et matérielle.
  
Sur le plan spirituel, elles vont disposer d'un argument-choc : « C'est parce que l'homme a oublié Dieu et s'est trop attaché aux valeurs matérielles que tous ces malheurs sont arrivés. » Sur le plan matériel, les différentes religions disposent de structures et d'une hiérarchie, plus ou moins formelle selon les cas, d'un système d'entraide entre fidèles qui permet, si l'on intègre la « communauté », de bénéficier d'une protection plus ou moins élaborée contre les dangers du monde extérieur.
  
Les prémices de cette évolution vers la primauté du religieux sont déjà visibles dans la plupart des zones géographiques :

dans le monde anglo-saxon, États-Unis notamment, la chrétienté intégriste, du type Born again, est en plein essor depuis plusieurs années. Elle s'est d'ailleurs étendue en Amérique du sud et en Afrique, principalement dans la zone équatoriale, où elle gagne des « parts de marché » sur le catholicisme « classique » ;

dans le monde musulman, la « poussée islamique », qu'elle soit « radicale » ou « modérée », se confirme tant dans la rue que dans les urnes. Face à des pouvoirs civils perçus comme corrompus et/ou pro-occidentaux, l'islam apparaît comme une solution privilégiée, le « socialisme arabe » ayant été relégué aux oubliettes.

  
Dans cette approche, notre but n'est pas de dénoncer ou de critiquer un quelconque extrémisme religieux. Il est de souligner que, pressentant un écroulement prochain et quasi-inéluctable du « matériel », les hommes vont se retourner vers, ou retournent déjà au spirituel, quelle que soit sa forme : pratique « traditionnelle », « modérée » ou « extrémiste » de la religion, attrait pour les sectes et les mouvements post-apocalyptiques en tous genres, recherche d'un « au-delà du monde matériel », d'un sens de l'existence…
  
Deux zones semblent cependant moins touchées par cette poussée religieuse : l'Europe d'une part, la Chine et, plus globalement, le monde asiatique d'autre part. Nous y reviendrons plus loin dans cette série de billets.
  
  
Le sabre et le goupillon
  
Le sabre et le goupillon, version troisième millénaire : pour reprendre une expression qui fit florès à la fin du XIXe siècle, telle semble être – ou pourrait être – la direction qu'une majorité de l'humanité prendra lorsque le système socio-économique dénommé « capitalisme » va péricliter.
  
Cette évolution peut sembler peu réjouissante en apparence mais elle est, en réalité, fort logique : l'histoire nous repasse des plats quasiment semblables, selon un ordonnancement presque identique.
  
Le constat auquel nous sommes arrivés depuis que nous avons commencé à publier La Lettre du Lundi, en janvier 2009, et ce quel que soit l'angle d'approche, c'est que notre civilisation occidentale est en fin de parcours et se dirige vers un nouveau Moyen-Âge. Ce que nous venons de vous décrire dans les trois premiers billets de cette série, c'est comment nous pourrions basculer dans ce nouveau Moyen-Âge qui devrait mêler, très majoritairement, primauté de la force et primauté de la religion, suivant des « dosages » qui varieront suivant les lieux et les périodes.
  
Très majoritairement mais pas uniquement. C'est ce que nous verrons dans un prochain billet.
  
  
Lundi
© La Lettre du Lundi 2011

 

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