lundi 16 janvier 2012

Entretien avec Yves Zlotowski, économiste en chef de Coface | LE MONDE ECONOMIE | 16.01.12 | 16h16   •  Mis à jour le 16.01.12 | 16h17

Une du "Monde Economie" du 17 janvier 2012.

Une du "Monde Economie" du 17 janvier 2012.DR

Yves Zlotowski est l'économiste en chef de Coface, au sein du département "Risque pays et études économiques" de cette société spécialisée dans le risque commercial.

Chaque année, Coface publie son guide risque-pays, actualisant ses évaluations sur la capacité moyenne des sociétés d'un pays à honorer[1] leurs paiements à bonne date. Cette analyse repose notamment sur un scénario de prévisions économiques.

Yves Zlotowski[2], en 2012, pensez-vous que l'économie mondiale entre en terra incognita ?

L'économie mondiale a toujours connu des crises cycliques, marquées par deux ans de hausse des impayés, et qui étaient suivies de cinq bonnes années en moyenne. Cette fois-ci, en effet, la situation est différente. De la mi-2009 à la mi-2011, les incidents de paiements interentreprises s'étaient améliorés, mais ils se sont ensuite détériorés à nouveau.

La tendance négative devrait probablement s'amplifier[3] en 2012. Le répit aura donc été de courte durée : deux ans au lieu de cinq ans. L'économie réelle est vraiment la victime de cette crise. En 2011, les défauts de paiement en glissement annuel ont augmenté de 52 % en Italie, de 49 % en Espagne, de 30 % en France et de 24 % en Allemagne l'an dernier.

Peut-on replonger[4] dans la situation de début 2009 ?

On ne devrait pas retrouver[5] ces niveaux dramatiques car, cette fois-ci, le risque est concentré principalement sur la zone euro, et aura un impact très fort aussi sur les pays d'Europe centrale et de l'Est, par le canal du crédit. Nous ne devrions pas avoir[6] de récession globale. La croissance mondiale devrait ralentir[7] : de 5,7 % en 2012 dans les pays émergents à 5,1 % en 2011. Celle des pays développés ralentirait de 1,3 % à 1,1 %.

Cependant, nous sommes passés de l'ère du risque-pays à celle du risque systémique, pour deux raisons : la taille de la dette privée et publique en Europe et l'impact qu'ont les crises souveraines sur le secteur bancaire en Europe.

Quel est votre scénario macro-économique ?

Nous prévoyons une récession limitée en zone euro en 2012 - un recul du produit intérieur brut (PIB) de 0,1 %. La Grèce (- 6 %), le Portugal (- 4 %) seront particulièrement touchées, devant l'Italie (- 0,8 %) et l'Espagne (- 0,2 %). L'économie irlandaise se stabiliserait (+ 0,1 %).

De leur côté, l'Allemagne (+ 0,7 %) et la France (+ 0,3 %) connaîtraient un fort ralentissement, comme le Royaume-Uni (+ 0,6 %). Mais si la question de la dette n'est pas traitée rapidement dans la zone euro, afin de casser[8] le cycle de défiance touchant la consommation et l'investissement, le risque de replonger[9] dans une récession forte pourrait alors se matérialiser[10].

En effet, le cas de la Grèce est avant tout symbolique : c'est la première fois depuis très longtemps qu'un pays avancé connaît une tension sur ses taux d'intérêt, une intervention du Fonds monétaire international et voit sa dette en partie effacée. Mais l'impact reste gérable pour les banques.

En revanche, l'Italie - dont la dette souveraine correspond à un cinquième du PIB de la zone euro - représente un risque de nature différente. En dollars constants, sa dette externe équivaut à huit fois celle de la Russie avant la crise souveraine de 1998. Elle est détenue par les banques de toute la zone euro. Cela rend le traitement de la crise extrêmement complexe et long, entame la confiance, ralentit la consommation et l'investissement, et agit ainsi sur l'économie réelle.

Comment procéder[11] ?

Plusieurs options sont possibles, à l'image des crises passées. Le traitement "russo-argentin" est un défaut de paiement unilatéral de l'Etat. Le "turco-brésilien" passe par une politique vertueuse d'ajustement budgétaire ample et durable.

L'"indo-libanais" consiste, par la réglementation financière, à inciter[12] les banques et les autres institutions financières à conserver[13] la dette, ce que l'on appelle aussi la répression financière. C'est aussi la politique qui a été suivie en Europe dans l'immédiat après-guerre.

Ces traitements peuvent se compléter[14], et être[15] adoucis par la monétisation de la dette par la banque centrale, à l'image du Royaume-Uni qui allie rigueur budgétaire, monétisation, et par la réglementation, une forte incitation des banques à détenir[16] les titres publics.

La zone euro finira-t-elle par s'en inspirer[17] ?

Je pense en effet qu'une politique fondée sur ces piliers sera adoptée par la zone euro. Ce qui n'empêchera pas, sans doute, qu'une nouvelle décote soit imposée sur la dette grecque, qui restera très élevée après la restructuration en cours. D'autre part, la question du caractère supportable des politiques de rigueur va se poser dans certains pays, ce qui à mon avis amènera à plus de monétisation de la dette en Europe. [18]

Pourquoi êtes-vous particulièrement inquiets pour l'Europe centrale et de l'Est ?

Elle est menacée d'une nouvelle vague financière déstabilisatrice par le canal de la raréfaction du crédit venu des banques européennes, qui avait beaucoup soutenu la croissance jusqu'ici. Un cinquième de la croissance de cette zone s'explique par le crédit distribué par les banques ouest-européennes.

Celles-ci couvrent 95 % du crédit international à destination des PECO [Pays d'Europe[19] centrale et orientale] et ces créances représentent 70 % du PIB de l'Europe de l'Est. Mais les banques européennes vont devoir[20] réduire[21] leurs engagements.

Un rationnement du crédit bancaire européen aura donc un impact majeur sur l'activité dans ces économies marquées par un fort endettement en devises du secteur privé. La croissance de l'Europe émergente passera de 4% à 2%. La Hongrie et la Croatie vont entrer[22] en récession, et la Roumanie aura une croissance très faible.

Propos recueillis par Adrien de Tricornot

Evaluer les risques d'incidents de paiement

L'ancienne compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur - dire aujourd'hui Coface - est spécialisée dans les services d'assurance-crédit, d'affacturage, de notation et d'information des entreprises, de gestion de créances et de gestion, pour le compte de l'Etat, des garanties publiques.

Lundi 16 janvier, à Paris, lors de son colloque annuel au Carrousel du Louvre - en partenariat avec Le Monde -, elle a présenté ses prévisions, ses évaluations et son Guide annuel Coface Risque-Pays 2012 (216 pages, Ed. Classe Export, disponible sur demande dans la limite des stocks).

Les notes de Coface sur le risque moyen d'impayé des entreprises par pays se situent sur une échelle de sept niveaux, de A1 (la meilleure note), à D.

References

  1. ^ honorer (conjugaison.lemonde.fr)
  2. ^ Yves Zlotowski (www.lemonde.fr)
  3. ^ amplifier (conjugaison.lemonde.fr)
  4. ^ replonger (conjugaison.lemonde.fr)
  5. ^ retrouver (conjugaison.lemonde.fr)
  6. ^ avoir (conjugaison.lemonde.fr)
  7. ^ ralentir (conjugaison.lemonde.fr)
  8. ^ casser (conjugaison.lemonde.fr)
  9. ^ replonger (conjugaison.lemonde.fr)
  10. ^ matérialiser (conjugaison.lemonde.fr)
  11. ^ procéder (conjugaison.lemonde.fr)
  12. ^ inciter (conjugaison.lemonde.fr)
  13. ^ conserver (conjugaison.lemonde.fr)
  14. ^ compléter (conjugaison.lemonde.fr)
  15. ^ être (conjugaison.lemonde.fr)
  16. ^ détenir (conjugaison.lemonde.fr)
  17. ^ inspirer (conjugaison.lemonde.fr)
  18. ^ poser (conjugaison.lemonde.fr)
  19. ^ Pays d'Europe (www.lemonde.fr)
  20. ^ devoir (conjugaison.lemonde.fr)
  21. ^ réduire (conjugaison.lemonde.fr)
  22. ^ entrer (conjugaison.lemonde.fr)

Source:http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/01/16/nous-sommes-passes-du-risque-pays-au-risque-systemique_1630139_3234.html
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